Les bâtiments conventuels médiévaux et la salle capitulaire

Pierre Boulay

Dans le prolongement du transept Sud de l’église Sts-Pierre-et-Paul s’étire le principal bâtiment conventuel, le seul à évoquer encore l’ancienne abbaye bénédictine ; ses trois niveaux principaux présentaient des ouvertures assez disparates, maintenant harmonisées, à la suite de travaux au cours des années 1980 pour y installer des appartements aux étages supérieurs. Précédemment, un escalier extérieur en plein milieu de la façade ouest menait à l’école de filles, tandis que la petite porte en bout de bâtiment permettait de rejoindre l’école de garçons.

Sur un plan de 1753, on constate que l’aile Est du cloître disparu au 18e siècle s’y adossait. De nos jours encore, les traces anciennes d’une présence  de charpente sont visibles à deux niveaux (sommet du toit et implantation des poutres) sur la façade Sud de l’église et au-dessus du petit portail Ouest. Le même plan précise la destination de l’édifice, à la fois dortoir et grenier du chapitre, ce qui explique ses importantes dimensions ; l’accès au dortoir se faisait directement depuis le transept, comme c’est le cas de nombreux bâtiments conventuels européens. Un corps de bâtiment moins élevé formant passage (s’Kritzgängel) relie cette aile au transept ; le tympan de son portail Ouest, roman, orné de 7 rosettes sculptées dans la masse s’apparente au portail principal de l’église St Adelphe. Au 1er étage, deux petites salles de même facture que la salle capitulaire et rénovées en même temps que celle-ci, subsistent de nos jours. Une lanterne coiffée en poivrière, parfois appelée « lanterne des morts », s’élève sur la façade Est, bien visible sur la droite dès la sortie Est du passage.  

Côté cloître (Ouest) près du 1/3 du rez-de-chaussée est occupé par la salle capitulaire, ou salle du Chapitre, contemporaine des parties orientales de l’église (12ème siècle). Celle-ci, selon Roland Recht, universitaire spécialiste de l’architecture médiévale,  est un des joyaux de l’art gothique rhénan naissant, rappelant que ces nouvelles pratiques architecturales pouvaient apparaître dans des bâtiments implantés dans des lieux moins peuplés (comme Neuwiller ou Obersteigen), avant même d’être présentes dans les cathédrales des villes. 

Conçue comme une grande halle de neuf voûtes portées par des colonnes ornées de chapiteaux et éclairée par des fenêtres semi-circulaires et une magnifique rosace, elle a été remaniée au 18ème siècle, rehaussée et dotée d’un pavement en dalles faisant alterner des losanges de grès rose et gris. 

Si au fil des siècles son apparence a été plusieurs fois modifiée, sa fonction de lieu de rencontres régulières –d’abord des moines bénédictins (jusqu’en 1496) qui y lisaient quotidiennement un chapitre de la règle de St Benoît, puis du chapitre des chanoines de St Adelphe- s’est maintenue jusqu’en 1789. C’est là que s’exprimaient et se réglaient collectivement les questions spirituelles et temporelles, que les Pères Abbés étaient élus par les moines et les Prévôts (Ange d’Aymar fut le dernier élu, en 1788, avant la dispersion de la communauté au moment de la révolution) par les chanoines, à la tête de leurs communautés. Salle chargée d’histoire, elle a vu passer, entre autres, l’empereur Maximilien en 1506 (l’année de la rédaction en latin de la « Vie de St Adelphe » par Wimpheling). 

A la suite de la révolution elle a connu un sort moins enviable . Vendue  en 1792 comme bien national à Jean-Philippe Dorsner (1750-1829), général d’artillerie et plus tard baron d’Empire, enterré au cimetière catholique de Neuwiller à proximité de la stèle funéraire du Maréchal Clarke, elle est passée entre les mains de ses héritiers Scherb ; le dernier (Léopold Elysée) vendit la  salle ainsi que d’autres bâtiments attenants à François Mathis en 1845. Selon Dagobert Fischer dans « Abtei und Stadt Neuweiler » publié en 1876, «  le grand mérite de Monsieur Mathis a consisté à dégager la salle de gravats à hauteur d’homme et d’avoir ainsi sauvé ce lieu d’une mort certaine ». En 1855 F. Mathis (qui avait, en 1847, vendu une maison et des jardins, à l’emplacement de l’actuel Foyer communal, à Edgar Clarke, duc de Feltre, fils du Maréchal) céda la salle au Dr Grünsfelder. Elle fut revendue encore une fois avant d’être acquise par la commune. A chacune des utilisations (remise, local de sport, de réunion de jeunes, de théâtre, de répétitions musicales, de catéchisme…) de nouvelles dégradations défigurèrent un peu plus ce lieu. Au courant des années 1990, enfin,  un plan de restauration totale a permis de retrouver la salle dans sa beauté et dans sa disposition originelles. Les travaux longs et minutieux entrepris sous la direction de Daniel Gaymard, architecte en chef des monuments historiques, consistèrent à débarrasser le lieu de tous les ajouts (pavage  du 18ème siècle, nombreuses pièces métalliques dans les chapiteaux et les murs, ancienne installation électrique) et à restituer les dispositions d’origine. C’est ainsi que les trois arches de la façade  Ouest et les deux fenêtres en Est ont retrouvé leur forme d’origine et ces dernières, de même que la rosace, ont été ornées de vitraux contemporains. Concernant la réfection des chapiteaux, D. Gaymard explique que la volonté de bien marquer la différence entre des originaux et des travaux de restauration justifie l’absence de motifs sculptés comme ceux que l’on trouve sur les chapiteaux du 12ème siècle. L’installation électrique sur fils tendus permet par ailleurs d’éviter de toucher les murs et les voûtes.

A la suite de ces travaux, l’association Via Romanica (Route romane d’Alsace) a installé des panneaux permanents consacrés à la vie religieuse des abbayes au Moyen Age ainsi que du mobilier. La commune de Neuwiller y a placé, après les avoir fait restaurer, deux belles maquettes des églises de Neuwiller réalisées au cours des années 1960 par Pierre Roos, habitant de Neuwiller. Depuis les dernières années du XXe siècle l’association PATRIMOINE assure occasionnellement l’ouverture et l’animation de cette salle qui sert aussi de point de départ de visites guidées. La permanence quotidienne pendant les mois d’été (Pont d’accueil touristique saisonnier, PATS) offre aux habitants et aux visiteurs la possibilité de découvrir les lieux et de trouver une série de publications (livre sur Neuwiller, études thématiques, cartes postales) et d’informations  sur la vie culturelle, l’animation et les ressources touristiques de Neuwiller et des environs (Office du tourisme du Pays de Hanau et de la Petite Pierre, Parc Naturel régional des Vosges du Nord…).