Les 4 chronogrammes de Neuwiller-lès-Saverne

Etienne Bankhauser

Un chronogramme est une espèce de jeu de « chiffres et de lettres » permettant de formuler une inscription, souvent en latin, en y faisant apparaître une date aux yeux des initiés. 

On sait que certaines lettres de l’alphabet latin représentent aussi des chiffres romains:  

• M pour 1000

• D pour 500

• C pour 100

• L pour 50

• X pour 10

• V et U pour 5

• I pour 1

Dans une inscription, il suffira de surdimensionner certaines lettres pour qu’elles symbolisent des chiffres. En additionnant tous ces « chiffres » on obtient la date d’un événement, lié à cette inscription.  

Il se trouve qu’à Neuwiller nous sont conservés 4 chronogrammes du 17ème et du 18ème siècle. Deux d’entre-eux sont gravés au-dessus de portes d’édifices religieux, un 3ème sur la chaire de l’abbatiale Saints-Pierre-et-Paul et un quatrième sur une plaque mortuaire dans l’église Saint-Adelphe.

• Église Saint-Adelphe - transept sud

Cette inscription latine fait référence à l’Evangile de Mathieu, 16, 18 et se traduit ainsi : « Les paroles sont de Christ et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. »

VERBA SVNT CHRISTI : 

ET PORTAE INFERI NON PRAEVALEBVNT 

ADVERSVS  EAM

En additionnant l’ensemble des lettres surdimensionnées vous obtenez la date de 1684, année de l’aménagement de cette porte : 

1M + 1D + 1C + 1L + 6V + 4I = 1684

Elle a permis aux catholiques l’accès à leur lieu de culte, le transept et le choeur, séparé de la nef par un mur depuis le rétablissement du simultaneum en 1683.

• Chapelle du couvent des Franciscains

En face,  au n° 8 de la rue des Cigognes,  le chronogramme en partie illisible à cause du délitement d’un grès de mauvaise qualité propose une citation de l’Evangile de Jean, 10, 1, précédée d’une invitation à la louange de Dieu.

Voici sa traduction : « Ici est la porte du salut éternel. Entrez, jubilez pour Dieu ! Qui n’entre pas par la porte dans la bergerie est un voleur et un brigand. »

PORTA  AETERNAE  SALVTIS  EST  INTRATE  IVBILATE  DEO  QVI  NON INTRAT 

PER  OSTIVM  IN  OVILE  FVR  EST  ET  LATRO

Par addition des lettres surdimensionnées, vous obtenez la date de 1739

1M + 1D + 4L + 6V/U + 9I = 1739

C’est l’année de construction de la chapelle du couvent des Franciscains dont subsiste cette porte d’entrée de la nef, avec son chronogramme.

• Chaire de l'abbatiale Saints-Pierre-et-Paul

Pour voir le 3ème chronogramme, il faut vous rendre dans la nef de l’abbatiale Saints-Pierre-et-Paul, en face de la chaire. Le Prévôt et Vicaire général Lambert de Laer se célèbre dans ce chronogramme comme « restaurateur » de cette chaire. L’inscription en latin peu se traduire ainsi :

« Au restaurateur LAMBERT DE LAER vicaire général et official de l’évêque de Strasbourg, prévôt infulé de Neuwiller. »

RESTARVRATORE LAMBERTO A LAER VICARIO GENERALI 

ET OFFICIALE EPISCOPI ARGENTINENSIS  

PRAEPOSITO INFVLATO NEOVILLARIENSI

1M + 3C +7L + 4V + 14I = 1684

La date de 1684  que nous dévoile ce chronogramme correspond à l’année où cette chaire fut érigée en remplacement d’une chaire plus ancienne dont seul le support, un faisceau de colonnettes roman, a été conservé. Le terme de « restaurateur » peut également se rapporter à la restitution du chœur et du transept de l’église Saint-Adelphe aux habitants catholiques suite au rétablissement du simultaneum en 1683.

• Plaque funéraire - église Saint-Adelphe

Enfin, le dernier des 4 chronogrammes se trouve dans le transept nord de l’église Saint-Adelphe sur une plaque funéraire murale. Comparé aux trois précèdants, il possède 2 particularités :

Tout d’abord, il s’agit d’un chronogramme naturel, c’est à dire que les chiffres romains formant la date sont placés dans un ordre décroissant dans l’inscription, ce qui permet de lire directement l’année sans faire leur addition.

Et puis, chose apparement très rare, une série d’autres lettres surdimensionnées  précise également le jour et le mois de l’évènement !

AMICORUM  AC  PARENTUM

LACRIMIS  IN  LONGAEVO  MORBO 

SUSTENTATA, 

TANDEM  E VIT  FACILÉ

A  FRATRE  INVITISSIME

DICESSI

MARIA  LUDOVICA  DAYME,

ANNVM  AGENS  XXVI,

AMPLIUS  NIHIL. 

HVC  TE  CANONICÈ  PARA, 

CARISSIME  FRATER,  

BREVI  TALIS  ERIS

•O•P•M•

 

ANN  M D C C L V V V I I I   V   A P R I I L S

     (Année 1768 5 avril)

 

Voici la traduction de l’inscription :

« Soutenue dans la longue maladie par les larmes des amis et des parents, j’ai enfin quitté la vie sans peine, mais à contre-coeur le frère, moi, Marie-Louise Daÿme, âgée seulement de 26 ans. Prépare toi, bien cher frère chanoine, à venir ici. Bientôt tu seras comme moi. Priez pour moi. »

Ce chronogramme nous indique donc non seulement l’année du décès de cette Marie-Louise Daÿme, 1768, mais précise également que c’était le 5 avril. Son frère cité dans l’épitaphe est un chanoine du chapitre de Neuwiller, Charles Christophe Dayme.

Enfin, pour terminer sur ce thème des chronogrammes, il est intéressant de noter que les 2 chronogrammes les plus anciens datent de la même année 1684, soit 1 an après le rétablissement du simultanéum à Neuwiller dont le prévot Lambert de Laer était l’acteur principal.

 

NB :  le M dans PARENTUM n’est pas surdimensionné, mais il est superposé avec un N renversé. On peut donc supposer qu’il s’agit de 2 N.